Projet de loi 3DS : Très loin d’un nouvel acte de décentralisation ! Une grande déception pour la Collectivité européenne d’Alsace !

La première lecture de l’examen du projet de loi « 3DS », (Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification de l’action publique, anciennement appelé loi « 4D ») s’est achevée au Sénat le 21 juillet dernier.

L’Assemblée nationale doit maintenant examiner le texte mais il est fort probable qu’elle reviendra sur un certain nombre de dispositions adoptées au Sénat. Il convient donc d’être prudent sur les avancées sénatoriales, d’autant plus que le texte a été déclaré en procédure accélérée par le Gouvernement etqu’il n’y aura qu’une seule lecture dans chaque Chambre avant réunion d’une Commission Mixte Paritaire.

Bien que le texte ait été approuvé par une majorité de sénateurs, en ce qui me concerne, je me suis abstenu, considérant que nous n’avions pas été assez loin dans certains domaines et plus particulièrement concernant la Collectivité Européenne d’Alsace. J’attendais clairement de ce texte l’ajout de certaines compétences permettant d’étoffer le poids et l’action de la Collectivité Européenne d’Alsace (CEA) ! In fine, je suis malheureusement obligé de constater qu’il est particulièrement décevant sur ce plan.

Ce projet de loi reste de toutes les façons très éloigné du « nouvel acte de décentralisation » évoqué et promis par le Président de la République.

1/ L’irrecevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution :

une limitation au droit d’amendement parlementaire

Je formule ici le regret, une fois de plus, que trop souvent et pour des raisons souvent incompréhensibles, la Commission des finances oppose aux amendements des sénateurs une irrecevabilité financière (article 40 de la Constitution).

Il s’agit là d’une véritable limitation, trop stricte, au droit d’amendement parlementaire, c’est-à-dire le droit de soumettre au vote des assemblées parlementaires des modifications aux textes dont elles sont saisies, tel que reconnu par la Constitution (article 44 de la Constitution). A l’égard de ce projet de loi « 3DS », la Commission des finances a été particulièrement diligente.

C’est ainsi que j’avais personnellement déposé deux amendements qui ont été « retoqués » à ce titre et n’ont même pas pu être examinés : 

Le premier donnait la possibilité à la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) et au Conseil départemental de la Moselle, de pouvoir présenter au Gouvernement des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou règlementaires en vigueur ou en cours d’élaboration concernant notre droit local donnant à l’Alsace des règles propres bien souvent plus avantageuses qu’en droit national.

Malheureusement, la Commission des finances a estimé que cette disposition nouvelle créerait une charge publique pour les collectivités concernées et donc, en vertu de l’article 40, ne pouvait pas être présentée et défendue.

Ce rejet au titre de l’article 40 de la Constitution est tout à fait incompréhensible en ce qui concerne ces collectivités, parce que celles-ci doivent veiller à l’équilibre de leur budget et que, si effectivement elles décident de s’engager dans des compétences et charges nouvelles, elles sont amenées à diminuer par voie de conséquence d’autres dépenses. De surcroît, le fait pour la CEA et le Conseil départemental de Moselle de présenter des propositions au Gouvernement est-il véritablement constitutif de dépenses nouvelles ?

Le second proposait de donner à la Collectivité européenne d’Alsace, au-delà du « chef de filât » qu’établit la loi du 2 août 2019 en matière de coopération transfrontalière, la possibilité de négocier et de conclure un accord portant création d’une agence de coopération transfrontalière et permettait ainsi de renforcer organiquement la CEA. Il répondait ainsi à l’objectif poursuivi par le projet de loi de parachever les transferts de compétence existants en faveur des collectivités territoriales, notamment en matière de coopération transfrontalière.

Là encore, la Commission des finances a estimé que cet amendement impliquait la mobilisation de nouveaux moyens pour la CEA et aggraverait une charge publique pour celle-ci.

Or, si le fonctionnement de cette agence devait effectivement être à l’origine de dépenses nouvelles, la CEA aurait de toute façon été amenée à trouver un moyen d’équilibrer son budget et, à recettes équivalentes, à rechercher des économies par ailleurs, comme toute autre collectivité.

Ce rejet est d’ailleurs d’autant plus incompréhensible, au vu des compétences supplémentaires qui ont pu être introduites dans ce texte en matière de coopération transfrontalière, qu’il s’agisse de transport et de santé et ce, sans que l’article 40 de la Constitution ne leur soit opposé.

2/ Quelques avancées tout de même …

Conformément aux ambitions initiales du projet, certaines dispositions, que j’ai défendues en commission et en séance, ont toutefois été adoptées par le Sénat dans des thématiques essentielles pour les collectivités, dont l’obligation de logements sociaux prescrite par la loi SRU, l’urbanisme, la redevance poids lourds, les aides sociales ou encore l’implantation d’éoliennes.

Timide avancée, mais avancée tout de même allant dans le sens de la mise en place d’une obligation effective et généralisée du fichier domiciliaire issu de notre droit local, l’adoption d’un dispositif permettant aux maires de recueillir un certain nombre d’informations auprès des administrations mérite d’être soulevée.

Voici, ci-dessous, le détail de mes interventions sur ces sujets :

Sur l’obligation d’un quota de logements sociaux (article 55 de la loi SRU)

Certes,le texte pérennise la loi SRU qui fixe pour certaines communes la construction d’un nombre minimum de logements sociaux.

Néanmoins, il crée un « contrat de mixité sociale » dans lequel pourra être adapté le rythme de rattrapage du déficit de logements sociaux.

Ce contrat de mixité social sera ainsi un outil d’aménagement contractuel liant l’État et les communes carencées en logements locatifs sociaux au titre de l’article 55 de la loi SRU.

Aussi, le co-pilotage de ces contrats de mixité sociale par les présidents des conseils départementaux aux côtés du représentant de l’État permettra d’adapter les objectifs fixés au plus près des réalités, de manière concertée avec l’État et tous les acteurs engagés sur le terrain en faveur d’une politique de l’habitat équilibrée et adaptée aux besoins des collectivités.

Cette disposition de souplesse est incontestablement à mettre au bénéfice de l’action sénatoriale : elle permettra, a minima, aux élus locaux d’ajuster un peu plus librement leurs actions aux réalités locales.

Le Sénat a également adopté plusieurs dispositions visant soit à assouplir les obligations, soit à supprimer les sanctions applicables aux communes n’ayant pas atteint l’objectif de construction de logements sociaux imposés.

Sur cette thématique importante, je me félicite ainsi de l’adoption de trois dispositifs que j’ai personnellement soutenus :

– Le premier vise à déduire du décompte des résidences principales au titre de la loi SRU les logements des militaires, situés sur le domaine de l’État (casernes ou camps militaires). En effet, ces logements qui ne sont pas considérés comme des logements sociaux, mais en présentent toutes les caractéristiques, aggravent le déficit des communes qui ont d’importantes implantations militaires sur leur territoire.

– Le deuxième tend à encadrer le déconventionnement des logements sociaux par un bailleur dans les communes déficitaires en logements sociaux, en introduisant un avis conforme du préfet et du maire, alors qu’actuellement une simple information du maire suffit et l’avis requis du Préfet est consultatif.

– Enfin, le dernier introduit un critère lié à la taille des logements. En effet, les modalités de décompte actuelles donnent la même valeur à un studio qu’à un appartement de 5 pièces. Une majoration de 50 % serait désormais appliquée aux logements comptant 4 pièces ou plus et une minoration de 25 % pour les logements de moins de 2 pièces.

En matière d’urbanisme

J’ai œuvré, avec l’amendement qui a été adopté par le Sénat, à la mise en place dans chaque département d’une Conférence du dialogue, véritable instance de dialogue entre l’État et les collectivités territoriales. En effet, face à l’échec de la commission de conciliation actuellement prévue par le code de l’urbanisme, la commission des lois a proposé de remplacer celle-ci par une Conférence du dialogue aux attributions plus larges.

Il s’agit d’une formidable opportunité de renforcer le dialogue en matière de contentieux de l’urbanisme. C’est la raison pour laquelle le Sénat a souhaité instituer une saisine obligatoire de cette Conférence, préalablement à toute saisine du Tribunal administratif ;

Je me félicite également de l’adoption d’une disposition conférant aux maires un droit de véto lorsque l’établissement public de coopération intercommunale tente de diminuer leurs droits à construire. Une telle diminution devra dorénavant passer par une révision du PLU et non plus par une simple modification ;

Si les plans locaux d’urbanisme intercommunaux peuvent être une chance pour nos territoires et un outil utile pour rationaliser l’utilisation des sols, cet outil ne doit pas être imposé. Il doit être le fruit d’un projet commun entre maires d’un même territoire.

Aussi, j’ai soutenu et défendu deux dispositions, figurant désormais dans le texte, afin d’empêcher tout transfert intempestif de la compétence du plan local d’urbanisme (PLU). D’une part, en inversant le mécanisme de transfert de la compétence du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) : désormais, ce ne serait plus aux communes de délibérer pour empêcher le transfert de compétence mais c’est leur délibération qui permettrait ce transfert. Et d’autre part, en empêchant que la modification du Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) n’entraîne automatiquement une procédure de PLUi couvrant l’intégralité du territoire de l’EPCI ;

Enfin, dans les zones de revitalisation rurale (14.900 communes concernées) et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les collectivités pourront désormais, si cette disposition est maintenue par l’Assemblée nationale, acquérir des biens abandonnés appelés « biens sans maîtres » au bout de 10 ans, au lieu de 30 actuellement.

Dans le domaine des aides sociales

J’ai soutenu une disposition essentielle, qui a été adoptée par le Sénat : la possibilité pour le Président du Conseil départemental de demander à chaque bénéficiaire du Revenu de Solidarité Active (RSA) les documents et informations nécessaires afin de vérifier la sincérité et l’exactitude des déclarations souscrites ou l’authenticité des pièces produites dans le cadre de l’octroi et du versement de cette prestation.

Le Revenu de Solidarité Active répond en effet à un triple objectif : lutter contre la pauvreté et la précarité, inciter à la reprise d’activité et simplifier le système de solidarité nationale. Les départements, titulaires de cette compétence, sont engagés depuis de nombreuses années dans une politique dite du juste droit, qui prend la forme d’un renforcement du contrôle des situations pour une attribution de l’allocation la plus juste possible.

Or, à cet égard, si les moyens de contrôle dévolus aux organismes payeurs sont pleinement reconnus et encadrés par les textes, il n’en va pas de même pour les départements.

Ces collectivités doivent donc disposer de tous les attributs nécessaires à l’exercice de leurs compétences, et en particulier d’un pouvoir de contrôle affirmé et intangible.

Concernant l’implantation des éoliennes

J’ai une nouvelle fois soutenu le dispositif visant à faire des élus locaux des décisionnaires dans l’implantation d’éoliennes sur leur commune, qui avait déjà été adopté par le Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi « Climat et résilience ».

Aussi, le dispositif adopté tend à passer d’une logique consultative à une logique délibérative dans l’implantation d’éoliennes au niveau local, en subordonnant le dépôt de la demande d’autorisation environnementale à une délibération motivée du conseil municipal de la commune concernée par le projet afin, le cas échéant, de pouvoir exercer un droit de véto ou d’organiser éventuellement un référendum local, pour inclure directement les administrés dans le processus délibératif.

L’objectif de cet amendement n’est en aucun cas de remettre en cause le développement des énergies renouvelables, mais de lutter contre le sentiment d’impuissance chez certains élus locaux et d’engager pleinement l’ensemble des acteurs du territoire au cœur du processus de transition écologique en cours.

Malheureusement, il est à craindre que cette disposition ne soit pas retenue dans la version finale du texte.

Le recueil d’informations auprès des administrations : une disposition qui devrait faciliter la tâche des maires !

Je suis de ceux qui souhaitent depuis fort longtemps l’instauration d’un fichier domiciliaire dans chaque commune.

En effet, cet outil revêtirait de nombreux intérêts : une meilleure connaissance de la population, une plus juste répartition des dotations de l’État, la bonne prévision des services à la population, la programmation des investissements en équipements sportifs, sanitaires et sociaux, tout en apportant de précieux renseignements pour l’établissement de la liste électorale ou la satisfaction des besoins d’accueil en établissements scolaires, périscolaires et culturels.

À défaut de pouvoir rendre ce fichier obligatoire (malgré de nombreuses tentatives), j’ai déposé et fait adopter un amendement qui permettra aux maires de recueillir, auprès des administrations qui les détiennent, des données ou des informations manquantes. (article 50, II bis).

Cette disposition nouvelle devrait faciliter et simplifier la tâche des maires.

3/ Beaucoup de regrets

En commission, tout comme en séance, j’ai déposé et soutenu un grand nombre d’amendements visant à renforcer les pouvoirs et le rôle des collectivités locales ainsi que ceux de la Collectivité européenne d’Alsace.

Malheureusement, beaucoup d’entre eux n’ont pas été retenus et je ne peux avoir que des regrets à l’issue de l’examen de ce texte par le Sénat, qui aurait pu être le socle législatif d’avancées concrètes, notamment pour la Collectivité européenne d’Alsace.

Les rejets incompréhensibles de certains amendements en faveur des collectivités locales et de leurs élus

Bien que quelques avancées aient pu être obtenues, je regrette tout particulièrement le rejet de certaines dispositions qui auraient mieux permis de répondre aux difficultés de mise en oeuvre du taux minimum de logements sociaux imposé par l’article 55 de la loi SRU telles que : 

faire reposer le calcul de la pénalité annuelle des communes carencées au titre de la loi SRU, non plus sur une logique de stock, c’est-à-dire en logements construits (pourcentage fixe), mais sur une logique de flux prenant en compte les constructions déjà engagées mais non encore réalisées afin de ne pas être systématiquement considérées comme déficitaires et donc sanctionnées ;

supprimer le taux de majoration plancher si la commune n’a pas réussi à atteindre ses objectifs triennaux de construction de logements sociaux, alors même que celle-ci serait dans l’incapacité objective de respecter ses objectifs ;

supprimer l’obligation d’un rythme de base obligatoire aménagé pour les communes ayant conclu un « contrat de mixité sociale ». En effet, dans le cadre d’un contrat de mixité sociale, les parties au contrat devraient pouvoir, en responsabilité, fixer des objectifs réalistes et cohérents au regard de la situation de la commune appréciée, sans que la loi n’impose des seuils planchers qui ne sont pas nécessairement adaptés aux réalités de chaque commune ;

supprimer le conditionnement de l’adoption d’un contrat de mixité sociale à l’avis préalable de la commission nationale. En effet, les acteurs locaux sont les plus à même d’apprécierla situation de leur commune et de fixer de manière responsable des objectifs cohérents et réalistes, ni trop modestes, ni trop ambitieux. Selon une logique de subsidiarité, la commission nationale doit être confortée dans son rôle essentiel dans la politique de logement social au niveau national et non au niveau local ;

laisser la possibilité aux communes d’affiner et de préciser les zonages géographiques proposés par l’État pour l’application des articles du code de la construction et de l’habitation (afin de permettre aux élus de se réapproprier les zonages de type A, B ou C qui caractérisent la tension du marché du logement). Avec cette nouvelle marge de manœuvre, le maire aurait été mieux outillé pour mettre en œuvre la mixité sociale sur sa commune, en orientant les typologies de production de façon détaillée et affinée.

exempter les communes dont la moitié du territoire est inconstructible, et non plus seulement la moitié de son territoire urbanisé ou non, de l’obligation de construire de 20 à 25 % de logements locatifs sociaux ;

confier la possibilité à toutes les communes, et plus seulement aux communes déficitaires ou proches d’être déficitaires en logements sociaux au sens de l’article L 302-5 du code de la construction et de l’habitation, de pouvoir s’opposer à la cession de logements sociaux. Aujourd’hui, en France, environ 70 % des Français sont éligibles au logement social, mais les logements sociaux ne représentent en moyenne que 15 % du parc total. Le déficit par rapport aux besoins peut donc être extrême dans certains territoires. Dès lors, certaines communes souhaitent pouvoir limiter librement les cessions de logements sociaux, même lorsqu’elles ont largement dépassé les objectifs nationaux ou lorsqu’elles ne sont pas concernées par cet article.

Et sur d’autres domaines encore, ma déception est forte concernant :

– l’absence d’amélioration de la protection des élus locaux contre les poursuites pénales, laquelle aurait pu être obtenue en élargissant le champ d’application de la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements, mettant ainsi fin à sa limitation aux seules activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. Dès lors, en cas de litige lié à ces activités déléguées, les élus n’auraient plus été les seuls à pouvoir être mis en cause pénalement ;

– ou encore le refus de création d’une cellule de soutien à la gestion des catastrophes naturelles aux collectivités locales.

Pas de nouvelles compétences pour le droit local et la Collectivité européenne d’Alsace

Plusieurs amendements auraient pu permettre de faire évoluer, étoffer et développer les compétences de la CEA ainsi que de renforcer notre droit local, tels que :

– la possibilité, plus que légitime au vu des règles de droit spécifiques à ses territoires, que la Collectivité européenne d’Alsace puisse présenter au Gouvernement, tout comme le Conseil départemental de la Moselle, des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d’élaboration, concernant spécifiquement le droit local.

Il s’agissait de reconnaître et de prendre encompteles caractéristiques de l’Alsace et de la Moselle issues de l’histoire, leurs traditions sociales, culturelles et religieuses, leur situation frontalière avec l’Allemagne, la Suisse et le Luxembourg, prenant notamment la forme d’une aspiration au bilinguisme et à la mise en valeur de leur patrimoine.

À cet égard, les collectivités territoriales concernées par ce droit particulier devraient pouvoir avoir toute compétence pour développer et financer des mesures concernant l’information, la documentation et les études relatives à ce droit dont elles doivent pouvoir présenter des propositions tendant à modifier ou adapter les dispositions ;

la possibilité pour la Collectivité européenne d’Alsace de jouer un rôle de chef de file dans le domaine de l’économie de proximité, notamment dans le contexte actuel de crise sanitaire, économique et sociale ;

la possibilité pour les collectivités territoriales frontalières de mettre en œuvre ou de soutenir, dans le cadre de la coopération transfrontalière et dans le respect des engagements internationaux de la France, toute action présentant un intérêt pour leur territoire ;

la possibilité pour l’État et les collectivités territoriales de subventionner l’enseignement immersif des langues régionales assuré par des organismes privés.

Mais il y a plus grave…

4/ Que reste-t-il des spécificités

de la CEA accordées par la loi du 2 août 2019 ?

Plus grand-chose, à en juger par la compétence désormais accordée à tous les départements en matière de coopération transfrontalière ou encore le transfert, certes à titre expérimental de huit ans, des autoroutes, routes et portions de voies non concédées aux départements et aux régions…

En effet, parmi les rares compétences accordées à la CEA par la loi du 2 août 2019 figuraient au premier chef des dispositions spécifiques dans ces deux domaines. Celles-ci sont désormais largement généralisées à tout le territoire, comme indiqué ci-dessous :

Sur la coopération transfrontalière

Le nouvel article 59 bis dote désormais TOUS les départements frontaliers d’un rôle de chef de file spécifique en matière de coopération transfrontalière prenant la forme, en particulier, de l’élaboration d’un schéma départemental de coopération transfrontalière. Il s’agit clairement d’un « copié-collé » de la spécificité alsacienne. En tant que tel, ce n’est d’ailleurs pas un problème et, au contraire, on ne peut que s’en féliciter.

Mais à l’occasion des débats sur ce dispositif, j’ai amèrement regretté que ce texte sur la différenciation n’ait pas été l’occasion, comme l’on pouvait s’y attendre, d’accroître encore les compétences de la CEA et de lui conférer une compétence pleine et entière en matière de coopération transfrontalière et non pas simplement la qualité de chef de file, comme c’est le cas actuellement.

C’est d’ailleurs en ce sens que j’ai déposé, en vain, un amendement visant à habiliter la CEA à négocier et à conclure des accords avec les Länder (Allemagne) et les cantons voisins (Suisse).

Sur le volet routier et autoroutier

Une autre mesure phare de la loi du 2 août 2019 créant la CEA consistait à transférer à la Collectivité européenne d’Alsace les routes nationales et autoroutes non concédées situées dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin.

Désormais, le projet de loi 3DS, tel qu’il a été voté par le Sénat, permet également aux régions de gérer et aménager les autoroutes, routes et portions de voies non concédées, relevant du domaine public national situées sur leur territoire.

Je me suis vivement opposé à cette disposition malgré l’avis contraire des rapporteurs de la commission des Lois. En séance, j’ai d’ailleurs été suivi par la majorité du Sénat. Mais, de façon très surprenante, le gouvernement et la commission des Lois ont demandé une deuxième délibération à cet égard (procédure à laquelle il n’est fait appel que très très rarement…).

Pour cette deuxième délibération, mise en œuvre tout à la fin des débats sur le projet de loi, il a été fait appel au scrutin public, permettant ainsi à la proposition de transfert sollicitée pour les régions d’être finalement approuvée.

Et la spécificité accordée à la CEA par la loi du 2 août 2019 a ainsi été généralisée à toutes les régions… par un projet de loi qui, à l’inverse, avait pour ambition de développer la différenciation…

Il me faut bien avouer mon incompréhension totale à cet égard, d’autant plus que à ce jour, les régions ne disposent d’aucune compétence en matière de transport routier (et n’ont donc pas les moyens humains ni techniques affectés pour cela…).

Sur la question de l’instauration généralisée d’une redevance poids lourds sur les voies du domaine public routier national non concédées

La loi du 2 août 2019 a donné la possibilité à la Collectivité européenne d’Alsace d’instaurer une contribution spécifique assise sur la circulation des véhicules de transport routier de marchandises dont le poids total autorisé en charge est supérieur ou égal à 3,5 tonnes et ce, pour une durée de huit ans à compter du transfert à titre expérimental des autoroutes, routes et portions de voies non concédées relevant du domaine public.

Un amendement porté par l’une de mes collègues a non seulement prévu de généraliser cette « écotaxe alsacienne » à toutes les régions, mais il a également demandé que « au sein d’une même région, il ne pourrait être instauré de contribution sur un axe routier, que ce soit à l’initiative d’une région ou d’une collectivité départementale disposant de cette faculté sur le réseau dont elle a la compétence, sans un avis conforme de tous les conseils départementaux de la région ».

S’il convient de reconnaître que le souhait de généralisation de l’écotaxe alsacienne à d’autres départements est compréhensible, il aurait été inacceptable de subordonner la mise en œuvre de cette redevance par la CEA à l’avis conforme de tous les conseils départementaux de la région Grand Est.

Aussi, pour empêcher ce dispositif et éviter de retarder la mise en œuvre de l’écotaxe en Alsace (car cela fait plus de 15 ans que les élus alsaciens se battent pour sa création), j’ai soutenu et défendu deux sous-amendements prévoyant que cette éventuelle généralisation serait applicable sans préjudice des dispositions de la loi du 2 août 2019 relative aux compétences de la CEA.

In fine, le Sénat a rejeté l’amendement initial de généralisation de l’écotaxe alsacienne.

Pour autant, il y a fort à penser que cet amendement ne revienne à l’Assemblée nationale et puisse y être adopté là-bas…

En effet, entretemps, la Commission Mixte Paritaire (composée de 7 députés et 7 sénateurs) réunie à propos du projet de loi Climat, a trouvé un accord en offrant la possibilité de la mise en place d’une écotaxe aux régions qui le souhaitent, à condition qu’elles souffrent d’un déport de circulation à cause de taxes qui seraient instaurées à proximité.

Certes, cet accord prévoit qu’une ordonnance en précise les dispositions concrètes, mais on peut faire confiance à nos amis lorrains pour mettre la pression nécessaire à la mise en œuvre en Lorraine d’un dispositif analogue à celui prévu pour la CEA.

En conclusion

Le projet de loi « 3DS », avec un D comme « Différenciation », n’a pas permis à la CEA de se différencier plus largement, comme on aurait pu le souhaiter…

Bien au contraire, la loi du 2 août 2019, déjà pauvre au regard des compétences de la CEA, et sur laquelle j’avais déposé nombre d’amendements lors de sa discussion devant notre Haute Assemblée, a encore été vidée d’une grande partie de sa substance !

L’on aurait pu éviter un tel bilan si l’on avait reconnu à la CEA, comme je le préconisais, et le revendique toujours, le statut de Collectivité à Statut Particulier au sens de l’article 72 de la Constitution.

J’avais mis tous mes espoirs dans ce projet de loi 3DS qui aurait pu attribuer des compétences nouvelles à la CEA, mais c’est malheureusement tout à fait l’inverse qui s’est produit.

De toute évidence, ce texte semble confirmer que la 2ème phase d’évolution de la CEA, que l’on avait un temps pensé possible avec le projet de loi 4D, n’était en réalité qu’un leurre !!!

Il faut donc continuer ce « combat »… Et, personnellement, j’entends bien le mener !

André REICHARDT, Sénateur du Bas-Rhin – Octobre 2021

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