10 jours après l’attentat de New York, l’Ouzbékistan et l’Asie Centrale se revendiquent centre névralgique de la stabilité et de la sécurité de l’Europe et du Monde
Au hasard du calendrier s’est déroulée à Samarcande, les 10 et 11 novembre derniers, une conférence internationale sur la sécurité et le développement durable “Asie Centrale, partager le passé et un futur commun…” sous la haute autorité du Président de la République, Shavkat Mirziyoyev et du Ministre des Affaires Étrangères, Abdulaziz Kamilov.
L’Ouzbékistan a récemment attiré l’attention et les foudres de tous les médias et des commentateurs après l’attentat perpétré par un Ouzbek à Manhattan, le 1er novembre dernier.
A Samarcande, personne n’a évoqué cet attentat ou son auteur, mais chacun l’avait en tête et c’est dans une atmosphère particulière que s’est ouvert un forum remarquable… Assez classique sur le papier, c’est au niveau du climat qu’il faut apprécier cette réunion qui a rassemblé sur 2 jours les plus importants acteurs du monde, représentés à un très haut niveau : Russes, Américains, Japonais, Chinois, Indiens, Pakistanais, Iraniens, Européens, agences spécialisées de l’ONU et des organisations régionales.
L’Asie Centrale et l’Ouzbékistan, centre du monde ?
En quelque sorte…
Au détour des tables rondes, on reprend conscience de ce que le monde est petit, notre vision bien étriquée et notre mémoire politique digne de celle d’un poisson rouge dans le bocal d’amnésies entretenues par l’information en continu… qui est l’exacte opposée de l’information !
L’Asie centrale est importante pour l’Europe comme l’a rappelé ici Federica Mogherini venue pour apporter son soutien à la reprise d’une politique de coopération entre les pays d’Asie Centrale : Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan, Kazakhstan et Turkménistan.
Ces pays aux économies disparates renouent ainsi avec la coopération régionale, ce qui est une avancée remarquable. Sous l’influence de son nouveau président, Shavkat Mirziyoyev, l’Ouzbékistan a déclaré sa volonté de s’ouvrir au monde.
Une brochette prestigieuse était réunie à Samarcande : tous les ministres des affaires étrangères d’Asie Centrale, d’Inde, de Turquie, d’Iran et Madame Mogherini notamment.
Le secrétaire général de l’OSCE et, bien entendu, les hauts responsables de l’association de coopération d’Asie (ASEAN) ainsi que de très nombreux hauts fonctionnaires des Nations unies ont fait le déplacement à Samarcande non seulement pour faire acte de présence, mais également pour assister le temps d’un colloque, à une vraie volonté de dialogue, comme par exemple les échanges entre le ministre des affaires étrangères indien, SE V.K Singh et le conseiller pour la sécurité intérieure du Pakistan, le Général Nasser Khan Janjua.
Les organisateurs ont choisi de faire un focus sur la situation en Afghanistan.
À première vue, le lien entre le sujet de l’Asie Centrale et les soubresauts de l’insécurité en Afghanistan ne saute pas aux yeux. Pourtant, ce conflit oublié demeure une brèche ouverte dans la sécurité régionale et bien au-delà.
Des années après la fin supposée des conflits en Afghanistan, la constante instabilité de ce pays en proie aux démons des trafics de drogue et du terrorisme constitue une menace persistante.
C’est alors que les différents orateurs ont évoqué les visions de leurs pays respectifs pour résoudre la crise afghane.
Que penser des interventions des représentants de l’administration de Donald Trump et de l’adjointe à la sécurité de la Maison Blanche, Madame Curtis ? Que penser de leurs plans pour l’Afghanistan alors que les États-Unis ont inondé depuis des années, sans avoir évalué les millions de dollars, au risque d’aboutir à une stratégie d’échec permanent ?
Il ne faut pas laisser réitérer les erreurs et les interférences étrangères en Afghanistan !
Comment ne pas comprendre, comme l’a très bien expliqué le conseiller du ministre iranien des affaires étrangères, Sayed Rasoul Mousavi, conforté par d’autres intervenants, qu’il fallait laisser la place « aux régionaux de l’étape », c’est-à-dire aux voisins et aux organisations régionales, et qu’il fallait éviter de reproduire les mêmes erreurs et respecter un triptyque : sécurité, stabilité et développement.
Toute solution qui ne comporterait pas ces trois éléments indissociables, dont le premier relève du niveau national, le deuxième du niveau régional et le troisième du niveau international, serait vouée à l’échec…
Et l’échec du rétablissement de l’Afghanistan, pays oublié des médias, serait une menace pour la région et bien au-delà.
L’Afghanistan qui, par ailleurs, dispose de plus de 1000 km de frontière commune avec le Tadjikistan, espace poreux et accessible à une idéologie de mort.
Et nous retrouvons la problématique du terrorisme….
L’autre frontière représente l’Iran, unie par l’histoire et la géographie. L’Iran peut aussi aider au développement économique. C’est pourquoi l’on comprend l’intérêt que représente le passage de Javad Zarif, son emblématique ministre des affaires étrangères, venu apporter sa contribution et profiter de la présence de Madame Mogherini. Tous deux ont rappelé leur engagement pour conforter le succès de l’accord sur le nucléaire iranien.
Puis viennent les pays qui s’intéressent économiquement et stratégiquement à la région, à savoir la Russie, la Chine, le Japon et les États-Unis. Bref, les grandes puissances n’ont pas négligé ce forum de Samarcande et c’est bien le signe que cette zone est névralgique pour la sécurité de l’Europe notamment.
L’initiative chinoise de la nouvelle route de la soie est une opération qui n’a pas attiré l’attention des politiques en France et c’est pourtant un véritable « plan Marshall » dans le domaine économique ainsi que dans le secteur des transports et des voies de communication.
Au cœur des dispositifs économiques, l’Asie centrale rapprochée de l’Europe devient un hub incontournable. Aider à son développement est une impérieuse nécessité et les invités à ce forum ne se sont pas trompés en répondant aux organisateurs.
Au détour d’un programme surchargé et polymorphe, un fil rouge : c’est grâce à la coopération et au développement, dans le respect de la souveraineté des Nations que nous parviendrons à ramener la sécurité dans la région et les progrès en termes de gouvernance. C’est aussi au détour des tables rondes que nous, français, peu nombreux, nous voyons renvoyé notre image cocardière face aux actions multilatérales.
L’Agence française de développement (AFD), absente de cette conférence, priorise encore les actions bilatérales par rapport aux actions multilatérales.
Dans le cas de l’Asie centrale, et au vu de l’importance des projets et des enjeux, il semble évident que l’aspect multilatéral serait plus approprié.
Aider au développement et à la coopération, c’est endiguer la pauvreté et la radicalisation de cette terre d’Islam sunnite.
L’Ouzbékistan mène une politique très rigoureuse à l’égard de l’Islam : nous avons visité le centre de formation des imams de Samarcande “Imam Bukhari International scientific research center“ : après 4 ans d’études et 4 ans de spécialisation, les imams ont le droit d’exercer. Ils doivent ensuite suivre une formation continue sur toutes les questions de société, les religions comparées et la tolérance religieuse intégrée dans tous les cursus. Très contrôlés, les 2 034 mosquées et les prêches ne laissent aucune place aux discours radicaux.
Cette formation continue supplémentaire de 2 mois de perfectionnement, soit 360 heures de cours, comporte l’étude des sciences de la vie, l’instruction civique, les sciences humaines, des cours de politique économique de l’Etat, de droit, de politique étrangère, ainsi que des cours d’informatique. Enfin, une partie des 360 heures de formation continue est consacrée à la lutte contre les discours radicaux.
Une brève discussion avec les responsables du centre et son directeur, Shovisil Zoyodov, mais aussi avec le directeur de l’institut pour la stratégie et les affaires régionales, le Docteur Vladimir I Norov, nous a suffi pour comprendre que la formation des imams, pour l’Ouzbékistan et la région, constitue un pilier majeur en vue de maîtriser les risques de radicalisation.
Cette politique, alliée à une forte volonté de développement, doit être la clé de voûte de la stabilité régionale. La question de la maîtrise de l’Islam, religion majoritaire, n’est pas prise à la légère. C’est sans naïveté, qu’elle est en fait, une politique prioritaire.
C’est ici que le rappel du contexte régional est essentiel : la proximité de l’Afghanistan, les tensions régionales entre l’Inde et le Pakistan, l’Iran et la Russie, voisins entreprenants et très présents.
Tout cela fait effectivement de l’Asie Centrale un espace stratégique, certes tourné vers l’Asie, la Chine et le Japon, et l’Association des Pays Asiatiques (ASEAN), mais que l’Europe ne veut pas négliger.
C’est ainsi que le président ouzbek a annoncé sa visite en France au cours du premier trimestre 2018. Il ne faudra pas manquer ce rendez-vous !
Ce nouveau président a fait le pari de l’ouverture de la transparence et de la lutte contre la corruption, et la France tient une place particulière dans le cœur des ouzbeks, comme souvent elle est attendue.
Tout nous rapproche de ce pays aux capitales mythiques : Samarcande, Bukhara dont les noms résonnent comme autant de rêves d’Orient sur les pas de Marco Polo. Sa francophilie, son économie ouverte, son développement en perspective, ce hub des voies de communication, son travail autour d’un juste partage de l’eau…
Bref, en un mot comme en cent, soyons attentifs et réactifs aux problématiques des pays de l’Asie Centrale, dans une économie mondialisée, ces problématiques sont aussi les nôtres, au premier rang desquelles se situe la lutte contre le terrorisme.
André REICHARDT et Nathalie GOULET, Sénateurs,
Vice-Présidents du groupe d’amitié France-Asie Centrale au Sénat.