Fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim

Dans le cadre de la fermeture du 2ème réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim, j’ai rédigé une tribune détaillée et fournie afin de faire part de mes réflexions et interrogations.
J’y dénonce « une décision purement politique et mal maîtrisée ».
Déjà, lors de l’examen du projet de loi « énergie et climat » par le Sénat en juillet 2019, j’avais tenté de repousser l’échéance en soutenant un amendement qui visait à interdire la fermeture de toute centrale nucléaire avant l’arrêt définitif de toutes les centrales à charbon présentes sur le territoire national.
Malheureusement rejetée, cette mesure aurait pu empêcher, ou du moins repousser, la fermeture de la centrale au vu des différentes problématiques qu’elle soulève et que j’évoque dans ma tribune, à savoir entre autres : l’imprécise évaluation des coûts de démantèlement, la nécessité de définir la future organisation industrielle du site de Fessenheim, la nécessité d’assurer la reconversion professionnelle des personnels, la compensation des pertes fiscales des collectivités locales concernées…
J’ai adressé cette tribune à la Ministre de la Transition Écologique et Solidaire, Madame Élisabeth BORNE, en la remerciant de bien vouloir en prendre attentivement connaissance et d’apporter des réponses aux questions qu’elle soulève.

TRIBUNE (24 Juin 2020)
Fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim :
Suite à la fermeture inéluctable de la centrale nucléaire de Fessenheim, avec l’arrêt de son 1er réacteur le 22 février dernier et l’autre prévu pour le moment le 30 juin prochain, j’entends dénoncer une décision purement politique et mal maîtrisée.
Prenant acte des confusions dans les discours du Gouvernement concernant l’ouverture corrélative de l’EPR de Flamanville, j’avais d’ailleurs déjà tenté de repousser l’échéance, lors de l’examen du projet de loi « énergie et climat » par le Sénat en juillet 2019, en soutenant un amendement visant à interdire la fermeture de toute centrale nucléaire avant l’arrêt définitif de toutes les centrales à charbon présentes sur le territoire national.
Malheureusement rejetée, cette mesure aurait pu empêcher, ou du moins repousser, la fermeture de la centrale au vu des différentes problématiques qu’elle soulève, telles qu’elles ont d’ailleurs été révélées par la Cour des Comptes dans un rapport sur « l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires » de février 2020.
Cependant, suite au dernier bilan prévisionnel 2019 du Réseau de Transport d’Électricité (RTE) précisant que le niveau de sécurité d’approvisionnement pouvait être assuré jusqu’à l’hiver 2021-2022, avec une vigilance à observer pour l’hiver 2022-2023, le Gouvernement a finalement dû annoncer, en janvier dernier, le maintien de la centrale à charbon de Cordemais jusqu’en 2026.
Au-delà de la lecture de ce rapport et à l’aube de la mise en arrêt du 2ème réacteur, il convient de revenir sur un processus décisionnel bien trop anticipé, en ce qu’il se base sur une évaluation des coûts et des délais optimistes qui doivent être largement nuancés et qualifiés. Une situation qui semble rappeler les débuts du projet de construction du réacteur nucléaire à eau pressurisée de nouvelle génération de Flamanville (EPR de Flamanville), avec les suites que l’on connait. (Les estimations initiales de mai 2006, date d’engagement de la construction de l’EPR, étaient comprises entre 3,2 et 3,3 milliards d’euros, pour une durée de construction de 54 mois, soit 4 ans et demi. Le décret d’autorisation de construction fut signé en avril 2007, le 1er béton coulé en décembre 2007. Or, d’après les dernières prévisions d’EDF d’octobre 2019, le chargement des premières barres de combustible devrait avoir lieu à la fin d’année 2022, soit une durée de construction de 15 ans. Le coût de l’EPR s’élèvera, toujours d’après l’estimation d’octobre 2019, à 12,4 milliards d’euros.)
Les réelles insuffisances rencontrées dans la conduite du projet de construction de cette nouvelle génération de réacteur à eau pressurisée, m’amènent à raisonner par syllogisme concernant le démantèlement de Fessenheim, qui sera l’une des premières centrales d’ampleur, par sa taille et sa complexité, que l’on va « déconstruire ».
De toute évidence, la volonté de concomitance, en guise de palliatif rassurant, se solde par un échec. En effet, la mise en service industrielle de l’EPR a été repoussée au plus tôt à mi-2023, soit plus de trois ans après la date de fermeture de la centrale de Fessenheim.
Aussi, et partant de l’exemple de Flamanville, je souhaite soulever un certain nombre d’interrogations auxquelles, ni le rapport de la Cour des Comptes, ni les annonces du Gouvernement, ne répondent :
1/ S’agissant des coûts, les dernières estimations d’EDF se situent entre 300 et 400 millions d’euros pour le démantèlement de chaque réacteur et donc entre 600 et 800 millions pour l’ensemble des deux réacteurs de la centrale.
Plusieurs questions se posent concernant ces évaluations, et notamment celle de savoir si l’on peut avoir confiance en ces chiffres quand le rapport de la Cour des Comptes nous dit, concernant par exemple le démantèlement des réacteurs Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG) de première génération, que « entre 2013 et 2018, les augmentations de devis ont été encore plus importantes sur ces mêmes installations, puisque les devis ont quasiment doublé (augmentation de plus de 96 %) en euros constants. »
Tout d’abord, un tel montant nécessiterait une décomposition davantage détaillée afin de comprendre ce qu’inclut exactement ce chiffre et pour quel état final visé. Il conviendrait également de préciser les coûts annexes ou indirects (ou à minima les intitulés), payés au final par le contribuable, qui ne sont pas inclus dans ce chiffre. En effet, les opérations de démantèlement qui seront réalisées par des entreprises spécialisées vont nécessiter l’implication d’un grand nombre d’acteurs et d’activités transverses.
Nous pouvons notamment citer, la période de surveillance et de préparation entre l’arrêt du réacteur et le début des opérations de démantèlement ; la gestion contractuelle des opérations de démantèlement (EDF) ; le maintien du niveau de sûreté des installations tout au long des opérations de démantèlement (EDF) ; La surveillance indépendante des activités de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) ; la fourniture des colis de déchets ; le transport des déchets ; le stockage temporaire (et surveillance) des déchets sur site en cas d’absence de filière ; le stockage définitif et surveillance des déchets par l’Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA)…
S’ajoutent à cela d’autres frais mis en lumière par le rapport de la Cour des Comptes comme l’indemnisation versée par l’État à EDF pour fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim, ou les pertes fiscales pour les collectivités.
2/ La gestion du délai et du coût sur laquelle il sera statué pour le démantèlement de Fessenheim nécessitera une gouvernance adaptée et clairement définie. Les différents rapports publiés sur l’EPR pour expliquer les dérives citées ci-dessus pointent, notamment, une gérance inappropriée pour ce type de projet de grande ampleur. En effet, pendant longtemps, les instances de gouvernance, alimentant une certaine confusion entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre, n’ont pas été en adéquation avec l’enjeu financier, stratégique et de réputation que constitue cette centrale de nouvelle génération. Ce n’est qu’en 2015 qu’un véritable chef de projet a été désigné et clairement identifié.
Partant de ce postulat, il convient de s’assurer que la future organisation industrielle sur le site de Fessenheim sera bien définie, avec un maître d’œuvre et un maître d’ouvrage clairement désignés et ce, afin d’éviter une organisation incompréhensible, coûteuse et chronophage à l’image de l’EPR.
3/ Il convient de reconnaitre que la mise en œuvre de la mise à l’arrêt définitif de la centrale de Fessenheim, en vue de son futur démantèlement, promet une continuité d’activités conséquente, proche voire supérieure à celle existante, pour les prochaines décennies à venir.
Néanmoins, exploiter une centrale nucléaire pour produire de l’électricité et « déconstruire » une installation d’une telle complexité sont des activités fondamentalement opposées.
En effet, il sera demandé aux effectifs présents de participer à un projet complexe, très coûteux pour l’État, avec des échéances ambitieuses, impliquant de nombreux acteurs tant sur le plan politique, industriel que social. Ainsi, une question légitime est de savoir si un plan de formation d’envergure est prévu afin d’assurer la conversion des effectifs existants à ces nouveaux métiers. Dans l’affirmative, le coût de ce plan est-il prévu dans les estimations financières mentionnées au début de cet article ?
4/ Un autre enjeu d’importance est la vision à long terme du devenir du site de Fessenheim. Nul doute que l’on peut craindre une forte démotivation de la part des effectifs employés sur le site, si faute de dialogue, on ne parvient pas à leur expliquer en quoi la déconstruction de ce qui les a fait vivre jusqu’à présent peut être un élément moteur de la transition écologique que l’on entend amorcer pour nos futures générations. Et ceci, même si une reconversion des activités ne débutera pas avant plusieurs décennies (temps nécessaire au démantèlement) et par conséquent, ne concernera en grande majorité que la prochaine génération de travailleurs.
Le rapport de la Cour des Comptes mentionne brièvement la possibilité de création d’un technocentre dédié au démantèlement des centrales nucléaires ou d’une usine de décontamination par fusion permettant de rediriger vers l’industrie conventionnelle les quantités d’aciers gigantesques issues des générateurs de vapeur du parc EDF et des diffuseurs de l’usine Georges-BESSE (enrichissement de l’uranium pour la production du combustible).
Ces deux projets semblent avoir une envergure et une ambition à la hauteur des attentes de la région. Une concrétisation devra s’amorcer dans les meilleurs délais afin d’éviter la démotivation évoquée ci-dessus. Par ailleurs, ceci réglera peut-être la situation du site de Fessenheim, mais quand sera-t-il pour les 14 autres réacteurs, répartis sur 7 sites (Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et Tricastin) appelés à fermer d’ici 2035 ?
5/ Enfin, il semble également opportun, dans ces circonstances, de prendre un peu de recul sur la production d’énergie française. Le programme nucléaire civil lancé par le Général de Gaulle après-guerre avait pour but de donner une indépendance énergétique à la France, et sans « langue de bois », était étroitement lié au développement de la bombe atomique. (C’est ce qui explique le choix de l’uranium comme combustible pour les réacteurs français : Uranium naturel d’abord, pour la (première) génération de réacteur Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG), qui de par sa fission produisait du Plutonium, puis Uranium faiblement enrichi pour les Réacteurs à Eau Pressurisée (REP) actuellement en service de génération 2 et 3 (3+ pour l’EPR).)
Ces technologies ont su apporter entière satisfaction en dépit de leurs deux inconvénients principaux : le risque de surchauffe ou d’emballement du cœur de réacteur et les déchets nucléaires, notamment ceux de la catégorie Moyenne et Forte activité à vie longue, la filière à l’étude pour ces derniers étant l’enfouissement en grande profondeur sur le site de CIGEO à Bure (projet consistant à enfouir en profondeur des déchets radioactifs hautement dangereux dans les sous-sols de Bure, petit village de la Meuse). Solution ô combien décriée et dont nous n’avons pas fini d’entendre parler…
Malgré cela, il faut saluer les résultats obtenus en matière de production d’électricité et de moyens de défense qui sont l’aboutissement d’une stratégie globale d’une grande intelligence et d’une continuité acceptée par tous les gouvernements qui se sont succédés durant la Vème République.
Aujourd’hui, sur nos 57 réacteurs en fonctionnement (58 moins la tranche n°1 Fessenheim), 13 restent à fermer d’ici 2035, d’après les dernières annonces. Nous sommes donc à un carrefour énergétique dans lequel nous allons engager plusieurs générations à venir.
Fin 2019, le Gouvernement a demandé une étude à EDF sur la possibilité de construction de six nouveaux EPR. Cette perspective est-elle acceptable à la vue des dérives constatées sur la construction du premier EPR ?
Par ailleurs, nous n’avons à ce jour aucune solution viable et sûre à proposer concernant les déchets les plus dangereux engendrés par cette technologie ; le projet CIGEO va-t-il vraiment aboutir ?
De plus, même si l’EPR propose un niveau de sûreté jamais atteint, voulons-nous continuer à courir le risque, aussi infime soit-il, d’une catastrophe à la Tchernobyl ou Fukushima ?
En conséquence, ne faudrait-il pas remettre en question la racine du problème qu’est le choix de l’Uranium comme combustible ? Dans le souci de préserver la filière nucléaire, fleuron de l’industrie française, n’existe-t-il aucun autre radioélément, abondant et capable de produire de l’énergie par fission qui serait moins contraignant vis-à-vis des déchets générés et du risque d’emballement ou de surchauffe du réacteur ? Par effet de cascade, une telle solution nécessiterait donc des unités de production d’énergie moins complexes, donc moins coûteuses aussi bien pour leur construction que leur démantèlement. On peut également supposer que la fabrication du combustible et son retraitement seraient également simplifiés.

André REICHARDT, Sénateur du Bas-Rhin

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